Plurilinguisme : question(s) de « savoir-être » ?


Cette journée d’étude s’inscrit dans le cadre du Projet Pluri-L, dont la perspective est à la fois « compréhensive » et « prospective ». Il s’agit notamment, dans des contextes socio-éducatifs divers, d’analyser les liens entre les représentations du plurilinguisme et les pratiques plurilingues, le développement de ces pratiques, des compétences qu’elles sous-tendent, pour élaborer, à partir de ces analyses, des propositions didactiques situées, dynamisant le développement de compétences plurilingues. Quelles sont les dimensions représentationnelles de la pratique et de la compétence plurilingues ? Quelles représentations favorisent ou freinent ces pratiques ? Comment générer, à travers l’intervention didactique, des représentations favorables à leur développement ?

 

Comprendre pour agir, ce programme appelle aussi à inscrire le travail dans une approche compréhensive, avec l’idée de placer l’analyse du point de vue de l’acteur, des intentions, des interprétations du social qui sous-tendent ses actions, ses manières d’interagir, de parler, d’apprendre ; mais aussi, dans une perspective socio-constructiviste et interactionniste, pour envisager les phénomènes comme construits socio-interactionnels, et donc représentationnels, ce qui conduit à reconnaître que le chercheur contribue à produire les observables qu’il collecte et qu’il analyse, mais a aussi des conséquences fortes du point de vue de la conception de l’intervention didactique. Comprendre pour agir, ce programme inscrit en outre le travail dans une démarche ethnographique qui s’élabore notamment sous forme de pratiques de recherche-action-formation, qui posent encore des questions de représentations, non seulement du point de vue de leur conception et analyse en tant qu’objets de recherche, mais aussi de celui de la gestion, par le chercheur, de l’influence de ses propres représentations dans sa pratique et sa posture d’analyse et d’intervention sur le terrain.


Dans ce paradigme, de nombreuses questions se posent ainsi, attenantes à la conception, à la prise en compte, et au traitement, de ces dimensions floues, (inter)subjectives, entre attitudes, représentations, sentiments, composantes affectives, socio-individuelles, de l’expérience, de la pratique, de la compétence plurilingues.

 

Quelles sont donc ces dimensions ? Comment les nommons-nous ? Quelle place prennent-elles dans nos travaux ? Comment les travaillons-nous, les observons-nous, les analysons-nous ? Comment concevons-nous les processus de transformations / reconfigurations représentationnelles à l’oeuvre dans le développement de l’expérience, de la pratique et de la compétence plurilingue ? Ces questions, débattues par des générations de chercheurs mais qui demeurent pertinentes et importantes à expliciter, se posent tant du point de vue de la recherche, que de l’intervention.


Dans le travail de formalisation opéré dans le Cadre de référence des approches plurielles (Candelier, 2007)1, proposition est faite de décliner la compétence plurilingue en un ensemble de « savoirs », « savoir-faire » et « savoir-être ». Si cette distinction peut apparaître problématique, opérer des catégorisations rigides, produire des effets de cloisonnement, l’identification d’une composante « savoir-être » a toutefois le mérite de permettre d’entrer dans la conception de la compétence plurilingue à partir de dimensions d’être aux langues et aux apprentissages, et d’en expliciter différentes orientations qui pourront servir d’éléments à la réflexion.

 

Un premier ensemble de « savoir-être » s’articule autour des rapports construits à la diversité / l’altérité linguistique et culturelle. L’éducation plurilingue / au plurilinguisme s’inscrit à ce sujet dans la perspective de générer des attitudes d’ouverture, un rapport plus favorable à la pluralité, en général, mais aussi en particulier, dans la singularité des biographies langagières des apprenants, en leur permettant de progresser vers une auto-reconnaissance accrue de leurs plurilinguismes, des langues de leurs répertoires, diversement légitimées. Elle permet aussi de s’affranchir des carcans culpabilisants de l’idéal de plurilinguisme « parfait », pour permettre la reconnaissance de compétences partielles, asymétriques, etc. ‘Savoir-être plurilingue’ passerait ainsi, aussi, par un processus de légitimation. Une autre dimension de ces savoir-être est formulée en termes de décentration. Suscitant une réflexivité méta-plurilingue, les approches plurielles visent à favoriser une capacité à se décentrer, à sortir de ses propres logiques, une conscientisation de la diversité et la relativité des fonctionnements, logiques, points de vue, représentations. Enfin, et de manière liée, ces approches visent aussi à développer de la curiosité, de la motivation à découvrir et à apprendre, ouvrir les rapports à l’apprentissage de langues, ou encore, dans un versant plus explicitement social, favoriser des sentiments et des envies d’engagement vis-à-vis de la question des langues et de la diversité.

 

En tant que composants de la compétence plurilingue, objectifs de développement didactique, ces « savoir-être » apparaissent dans le CARAP avant tout conçus du point de vue des apprenants, mais la question concerne tout autant les enseignants, qui, engagés dans une démarche plurielle, ont à favoriser des formes de « savoir-être »… dont ils doivent être eux-mêmes porteurs ? Y a-t-il des « savoir-être d’enseignants » relatifs à l’éducation plurilingue ? Une posture de praticiens du plurilinguisme ? Peut-on (et comment) enseigner, ou évaluer des « savoir-être » ?


C’est ainsi sous l’angle de ces dimensions de « savoir-être » en lien avec le plurilinguisme et l’éducation plurilingue, que les organisateurs de la Journée d’étude Pluri-L 2012 souhaitent engager le questionnement et le débat. Quels sont les enjeux et les implications épistémologiques et didactiques de la prise en compte de ces dimensions dans la conception et l’analyse de l'expérience, la pratique, et / ou la compétence plurilingues ?


L’argumentaire qui précède indique que si ce terme « savoir-être » est proposé comme formule chapeau de dimensions socio-individuelles et intersubjectives complexes, son usage ne doit nullement être interprété comme prescriptif, et la notion même, sa pertinence, mériteront aussi d’être réinterrogées de façon critique, de même que devra l’être la pertinence d’identifier, de prendre en compte, d’analyser des dimensions de « savoir-être » (ou quels que soient les termes retenus) attenantes au plurilinguisme.

 

3 axes thématiques sont proposés à la réflexion :
Axe thématique 1 : Plurilinguisme : des dimensions de « savoir-être » ? Conception, épistémologie, pertinence, catégorisation, description, opérationnalité.
Axe thématique 2 : Travailler sur / avec les « savoir-être » : Pratiques de recherche, posture de chercheur.
Axe thématique 3 : Approches plurielles, didactiques du plurilinguisme : Enseigner / évaluer des « savoir-être plurilingue » ? Des savoir-être d’enseignants praticiens du plurilinguisme ?